Bienvenue à La Jeune Garde …
Le Festival International du Film est la marque de fabrique de la manifestation cannoise, le vaisseau amiral en quelque sorte, il orchestre la sélection, organise, récompense depuis plus de 77 éditions : il est une locomotive pour cette manifestation dédiée au cinéma, connue et reconnue dans le monde entier.
Il règne en fondateur certes, mais il n’est plus tout seul, il est depuis longtemps accompagné des Sélections Parallèles (Semaine de la Critique, Quinzaine des Cinéastes, Un Certain Regard, et l’Acid ), sans oublier les films sélectionnés hors compétition …
Mais, ne nous y trompons pas ! Les sélections parallèles ne doivent qu’à elles-même.
Elles ne sont pas en reste et n’en font qu’à leurs têtes, elles recherchent et encouragent la création autour de sujets mobilisateurs, sociaux et individuels, elles découvrent des talents.
Le cru 2024 ne fait pas exception, en particulier au sein de la jeune garde, composée de celles et ceux qui en sont à leurs premiers films, le premier parfois !
Un cru particulièrement riche et créatif vu le choix des sujets traités et l’énergie investie.
L’approche est souvent empreinte de poésie, de comédie ou d’humour … le drame n’est jamais loin, mais il est souvent esquissé pour mieux laisser entrevoir les possibilités imaginaires de mondes meilleurs.
Ce n’est pas Louise Courvoisier, 28 ans de jeunesse, qui va nous dire le contraire, avec Vingt Dieux elle nous propose un film sans en faire un plat et passe directement de l’entrée au fromage.
Un bonheur ce Vingt-Dieux, avec des situations parfois absurdes sans être jamais méchantes. Un film sur la joie de faire, de transgresser et de vivre.
Bravo à Louise Courvoisier, grâce à elle l’expression “en faire tout un fromage“ retrouve tout son sens.
Résister tout simplement !
Dans un autre registre, plus poétique, et dramatique aussi, Viet and Nam réalisé par Truong Minh Quy décline une métaphore onirique de l’histoire de l’Indochine ou comment quitter son pays en y emmenant sa mémoire.
Un film au langage particulièrement visuel, il nous raconte l’histoire de Viet et Nam, nos deux personnages, et de leur voyage à travers le temps, un voyage qui nous entraine et nous prend telle la houle de mer … Une houle à laquelle rien ne résiste, sauf l’oubli.
Nous changeons de port avec Noémie Merlant et ses Femmes au balcon, un film tonique réalisé en collaboration avec Céline Sciamma.
Nous sommes à Marseille, dans un appartement, avec la canicule pour détonateur d’ambiance : Trois femmes passent une partie de leur temps à observer et fantasmer sur leur voisin d’en face … Elles vont rapidement se trouver impliquées dans de scabreuses et délirantes histoires pour vite réaliser le bonheur de pouvoir s’en sortir.
Vive la Liberté !
Avec September says d’Ariane Labed, nous rentrons dans le dur d’un sujet difficile, une mère bipolaire avec ses deux filles en plein imaginaire d’adolescence tentent de vivre ensemble et dans la réalité du monde. La tache n’est pas aisée, à l’image des personnages dont les intérêts sont pour le moins difficile à conjuguer.
Résister encore avec Armand, un film de Halfdan Ullman Tøndel où nous constatons qu’un incident peut déséquilibrer une école entière, parents et élèves.
Il nous montre que dans un monde de plus en plus enthropo-individualiste ou enthropo-centré, chacun a tendance à se prendre pour source de vérité, particulièrement en période de crise, cela peut rassurer, le temps d’un instant !
La vérité se trouverait-elle du côté de celui qui impose sa volonté ? Ce film nous montre que non et qu’en aucun cas il ne faut baisser la garde face à ces énoncés de vérités préfabriquées.
Résultat, Prix de la Caméra d’Or pour Armand.
Résister toujours et Prix du Jury pour L’Histoire de Souleymane de Boris Lojkine :
l’histoire d’un sans papier immigré qui raconte son “histoire“, Souleymane doit passer un entretien afin de régulariser papier et situation, il a peur, ne sait plus … Il travaille à livrer des repas pour une entreprise et le soir venu à coucher il ne sait où.
Un film nécessaire et insoutenable sur une réalité voulue invisible, mais bien présente.
Matthew Rankin, lui, n’en est pas à son coup d’essai, il nous arrive du Canada, ou peut-être de la planète Mars, à moins que ce soit un cousin éloigné de Quentin Dupieux.
Voilà le personnage situé !
Il nous propose Une Langue Universelle, un film sur le parcours d’un homme retournant à Winnipeg, sa ville natale au Canada, pour voir sa mère malade.
Le film est tourné en langue iranienne (farsi), ce qui peut suspendre à Winnipeg, mais beaucoup moins quand on sait qu’il est un hommage à Kiarostami,
Résistance encore et toujours, celle qui laisse des traces indélébiles, avec Mongrel, premier film de Chiang Wei Liang et You Qiao Yin.
Il nous parle des migrants et de leur parcours, venant de pays d’Asie du Sud-Est pour aller travailler à Taiwan : il nous montre leur ressenti, leurs conditions de vie, leur histoire et celles qu’ils partagent avec leurs employeurs. Une école d’humanité !
L’Afrique est de retour à Cannes cette année avec The Village next to Paradise, un film de Mo Harawe venu nous parler de la vie de Mamargade, de son fils Cigaal, et de sa soeur Araweelo couturière.
Un film sur le quotidien, les galères et les moments de bonheur que chacun traverse : l’action se situe en Somalie où le contexte géopolitique est particulièrement chaotique et le désert omniprésent, Mamargade notre homme de main vit au quotidien, dépannages et petits boulots pour des islamistes, etc … Il survit et rêve parfois en compagnie de son fils, ils regardent la mer, source de vie mais aussi transformée parfois en nuisance par les hommes.
Un film rare, entre rêve et réalité, tellement il s’adresse à la part des anges qui est en nous.
Il existe aussi des cinéastes qui ne sont plus jeunes , mais qui ont su le rester,
Yolande Zauberman, Roberto Minervini et Mo Arawe sont de de ceux là.
Avec The Damned, Roberto Minervini nous rapporte l’histoire d’une patrouille de l’armée de l’Union durant la guerre de Sécession aux États-Unis, des soldats en déshérence suite à un changement de mission. Une fable existentielle sur la soumission à l’ordre quand il ne comporte plus aucun sens.
Quant à Yolande Zauberman, elle nous présente La Belle de Gaza, un film sur la condition humaine et le besoin de comprendre, un film sur le déracinement, la liberté et la tolérance … Par les temps qui courent, cela fait déjà beaucoup.
Au final, si un film nous touche, c’est souvent à travers son humanité, son narratif ou sa façon d’approcher les clivages au sein de la société.
Il nous montre le cheminement de chacun des personnages, avec ses valeurs et ses doutes, ses relations au monde et à l’autre. Il nous questionne.
C’est là tout le travail et le talent du réalisateur, celui de poser les questions d’une façon telle que chaque spectateur se sente libre d’apporter ses propres réponses.
Marc Lanteri – 26 juin 2024
Date de sortie en France :
La Belle de Gaza , 29 mai 2024
Les Femmes au Balcon , 4 septembre 2024
Viet and Nam , 18 septembre 2024
L’Histoire de Souleymane , 9 octobre 2024
Armand , 23 octobre 2024
Vingt Dieux , 11 décembre 2024
Une Langue Universelle , prochainement
September says , prochainement
Mongrel , prochainement
The Damned , prochainement
The Village next to Paradise, prochainement